Pêche : courrier à M. le Président de la République

Pêche : courrier à M. le Président de la République

5 oct. 2023

Pêche : courrier à M. le Président de la République

 

À l'écoute des acteurs de la filière pèche en Région Bretagne, j'ai tenu à cosigner un courrier transpartisan des élus bretons et des professionnels de la filière adressé à Monsieur le Président de la République pour l'alerter sur l'urgence d'accompagner et d'aider un secteur d'activité économique essentiel en région Bretagne :

 

"Monsieur le Président de la République,

 

Professionnels de la filière pêche, élus des territoires littoraux de Bretagne, nous souhaitons vous faire part de notre vive inquiétude concernant l’avenir de la pêche et de nos ports. Tous les acteurs sont unanimes : la crise que nous traversons est sans précédent, et sera peut-être la dernière sans un sursaut rapide.

 

La Bretagne a payé un lourd tribut au Brexit. A l’occasion du dernier plan de sortie de flotte, cinquante de nos plus grands navires ont été détruits cet été, qui apportaient aux criées plus de 10 000 tonnes de poisson par an. Les effets de cette perte sont déjà prégnants : moins d’activité pour nos criées, orientant les prix à la baisse, moins de travail pour nos mareyeurs, moins de navires dans nos chantiers.

 

La hausse structurelle des prix du gazole qui touche les pêcheurs, comme la hausse des prix de l’électricité qui touche les criées et les mareyeurs, pèse lourdement sur la compétitivité et la trésorerie des acteurs.

 

L’investissement dans le renouvellement de la flotte est entravé par des marges trop faibles et des règles administratives dépassées. Le durcissement des règlementations de toute nature jette l’opprobre sur une filière qui travaille dur. La perspective du départ à la retraite de nombreux professionnels achève d’assombrir les perspectives.

 

La pêche en Bretagne est à un point de bascule : une nouvelle érosion des volumes pourrait aboutir à son démantèlement.

 

En Bretagne, près de 10 000 emplois sont liés à cette filière. Mais au-delà de la question sociale, la pêche a aussi façonné nos paysages, notre culture, l’identité des populations côtières. Sa disparition provoquerait un choc de même nature que celui qui a touché le nord de la France avec la disparition de l’industrie textile, ou l’est de la France avec la disparition de l’industrie sidérurgique.

 

C’est la raison pour laquelle nous en appelons directement à vous.

 

Car cette filière est une filière d’avenir.

 

On parle de réindustrialiser le pays en redonnant de la compétitivité aux entreprises : voilà une filière industrielle qui existe, dépositaire d’un savoir-faire unique, qui crée des milliers d’emplois dans des villes de toutes tailles, mais qui se bat à armes inégales contre des modèles industriels étrangers fondés sur le dumping.

 

On parle de préserver notre environnement, or notre pêche est la plus écologique quand on la compare à ses grandes concurrentes au plan mondial. Sur le plan de la préservation des ressources en raison des quotas qui l’encadrent. Sur le plan des engins de pêche, sur lesquels nous avançons avec les scientifiques pour bâtir une pêche plus sélective pour les espèces et moins invasive pour les fonds marins. Sur le plan de l’empreinte carbone, puisque chaque tonne de poisson débarquée en France évite autant d’importations depuis des contrées lointaines.

 

On parle enfin de restaurer notre souveraineté alimentaire, or nous importons déjà plus de 75% du poisson consommé dans notre pays, proportion qui ne cessera d’augmenter si notre pêche, notamment hauturière, venait à disparaître.

 

La filière ne tend pas la main pour demander l’aumône. Il ne s’agit pas de demander le maintien de subventions publiques reconduites de mois en mois au terme de discussions incertaines à Bruxelles.

 

Il s’agit de décider si la France souhaite conserver cette industrie, essentielle à nos territoires, et dans l’affirmative de refonder son modèle économique. Seule une intervention de votre part le permettra.

 

Cette intervention est urgente : en dépit des efforts qui ont été consentis, la trésorerie des plus grands navires, qui apportent l’essentiel des volumes et dont la disparition marquerait la fin de la filière au plan industriel, est de plus en plus précaire. Depuis plusieurs mois déjà, ils ne bénéficient plus de l’aide au gazole en raison du plafonnement des aides d’Etat.

 

Des solutions existent.

 

A court terme, il s’agit de consolider les trésoreries pour garder les navires en mer et passer l’année 2024. Le rétablissement et l’augmentation des aides au carburant, en obtenant de Bruxelles que leur calcul se fasse par navire et non par armement, un moratoire sur le remboursement des prêts bancaires pesant sur les navires, l’application effective aux criées et aux mareyeurs du « bouclier tarifaire électricité », un soutien financier aux criées permettant de réduire les taxes, peuvent y contribuer.

 

A moyen terme, il s’agit de refonder un modèle économique pour redonner une compétitivité structurelle aux navires, quelles que soient les fluctuations des cours du pétrole. L’affectation des taxes sur les éoliennes en mer, la réorientation des crédits du FEAMPA, une contribution au titre des services environnementaux rendus par les pêcheurs font partie des pistes évoquées.

 

A plus long terme, il s’agit de décarboner la filière en remotorisant les navires, en encourageant l’innovation dans les moteurs électriques ou à hydrogène, et plus largement en renouvelant et en modernisant la flotte.

 

Nous ne méconnaissons pas l’extrême complexité de ces propositions.

 

C’est la raison pour laquelle nous en appelons directement à vous : à la fois en raison de l’enjeu pour notre territoire, mais aussi parce que seule une intervention au plus haut niveau de l’Etat pourra engager la dynamique nécessaire.

 

Il y a 30 ans, le référendum sur le traité de Maastricht a été remporté grâce au « oui » massif des Bretons. Notre région figure également parmi celles qui se défient le plus du populisme ambiant.

 

Cela constitue peut-être une dernière raison de vous impliquer personnellement dans ce dossier : prouver que la Bretagne a eu raison de faire confiance, et que la politique n’est pas impuissante à régler les problèmes des gens.

 

Souhaitant vivement pouvoir en échanger avec vous dans l’un de nos ports bretons, nous vous prions Monsieur le Président, de croire en l’assurance de notre haute considération."